Enrayer la morbidité et la mortalité grâce à des médicaments plus sûrs

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LʼISO met à jour et élargit sa gamme de normes fondamentales sur lʼidentification des médicaments (IDMP) afin de contribuer à enrayer le nombre de pathologies et de décès dus à des erreurs de médication.

Dʼaprès une étude publiée dans lʼédition dʼoctobre 2015 de la revue  Anesthesiology1), dans près de la moitié des interventions chirurgicales, les patients seraient victimes dʼerreurs de médication ou de réactions indésirables à des médicaments. Cette étude réalisée à lʼhôpital général du Massachusetts de Boston (États-Unis) se concentre sur 277 interventions impliquant 3 671 administrations de médicaments, mais les chiffres nʼen sont pas moins troublants. Ils témoignent en effet de la fréquence des incidents liés à lʼabsorption de médicaments qui sont, dans bien des cas, le fruit dʼerreurs dʼétiquetage ou de dosage, ou résultent dʼun défaut dʼinformation.

De même, les chiffres et données rendus publics par lʼOrganisation mondiale de la santé (OMS), recueillis essentiellement auprès des pays de lʼUnion européenne, montrent invariablement que 8 % à 12 % des patients hospitalisés sont victimes dʼerreurs médicales ou dʼaffections liées aux soins. Au Royaume-Uni, le Ministère de la santé estime quʼil y aurait environ 850 000 réactions indésirables par an, ce qui concernerait 10 % des patients admis dans les hôpitaux. Au Danemark, en Espagne et en France, les études réalisées par les autorités sanitaires donnent des résultats analogues. En outre, environ 23 % des citoyens européens prétendent avoir déjà fait lʼobjet dʼune erreur médicale et 11 % pensent avoir reçu un médicament inapproprié. Et les risques encourus par les patients hospitalisés sont encore plus grands dans les pays en développement.

Des décès qui pourraient être évités

Pharmacist holding medication

Certains accidents sont causés par des médicaments qui ont des noms et un aspect semblables, mais des propriétés pharmaceutiques totalement différentes. Le problème est aujourdʼhui dʼautant plus grand que les cliniciens ont accès à un arsenal de plus de 10 000 médicaments, ce qui complique la tâche et multiplie les risques dʼerreur lors de la prescription et de lʼadministration des médicaments.

Si, dans bien des cas, les erreurs sont sans conséquence, il nʼen reste pas moins que, chaque année, dans la seule Union européenne, des milliers de patients perdent la vie à la suite dʼune erreur de prescription ou de dosage. Or, dʼaprès les chiffres publiés par lʼOMS, 50 % à 70 % de ces erreurs pourraient être évitées grâce à une approche globale et systématique de la sécurité des patients. « Les chiffres montrent quʼen adoptant des mesures pour réduire le taux de réactions indésirables, ne serait-ce que dans lʼUnion européenne, on pourrait éviter chaque année plus de 750 000 erreurs médicales parfois lourdes de conséquences, ce qui permettrait dʼépargner 3,2 millions de jours dʼhospitalisation et dʼéviter 260 000 handicaps permanents et 95 000 décès par an. »

Outre le bilan humain de ces erreurs, qui est dramatique, il serait judicieux, dʼun point de vue strictement économique, dʼaméliorer la sécurité des patients. Dans un rapport 2) quʼelle a publié en 2014, lʼOMS cite des études selon lesquelles les journées dʼhospitalisation supplémentaires, les frais de justice, les infections nosocomiales, le manque à gagner, les handicaps et les frais médicaux résultant dʼerreurs médicales coûteraient à certains pays entre USD 6 millards et USD 29 milliards par an.

LʼISO tient le premier rôle

Au vu de ces chiffres pour le moins alarmants, il nʼest pas surprenant quʼune demande mondiale dʼharmonisation internationale des spécifications relatives à lʼidentification des médicaments se soit manifestée. Face à ce besoin urgent, lʼISO a mené une initiative de collaboration de grande envergure avec des experts de la santé de 59 pays (32 pays participants et 27 pays observateurs) pour établir cinq Normes internationales sur lʼidentification des médicaments.

Publiées pour la première fois en 2012, ces normes font actuellement lʼobjet dʼune mise à jour. Elles seront en outre assorties de guides de mise en œuvre. Cela permettra de faciliter lʼéchange dʼinformations sur les médicaments entre les autorités de réglementation, les sources dʼinformation dans le monde entier et les laboratoires pharmaceutiques, mais aussi de favoriser la mise au point des médicaments, leur enregistrement et la gestion de leur cycle de vie, et dʼidentifier ces produits sans ambiguïté dans toutes les régions. In fine, ces normes permettront dʼaméliorer la pharmacovigilance – un processus qui consiste à surveiller lʼutilisation des médicaments après leur mise sur le marché – ainsi que le travail de réglementation à lʼéchelle planétaire.

10 000
Le nombre de médicaments auxquels les cliniciens ont accès

Dans ce cadre, et conformément à la norme ISO 11615, lʼISO a publié la spécification technique ISO/TS 16791 qui vise notamment à garantir « le bon médicament au bon patient » et qui prévoit par conséquent lʼadoption de codes-barres pour sécuriser la médication.

Les normes ISO sur lʼidentification des médicaments sont de plus en plus prisées et les pouvoirs publics en exigent désormais lʼapplication dans un nombre croissant de pays. Les acteurs concernés partagent en effet lʼavis quʼelles sont appelées à devenir le modèle de référence en ce qui concerne lʼinformation sur les médicaments à lʼéchelon mondial.

LʼAgence européenne des médicaments (AEM) est en train dʼintégrer les normes ISO sur lʼidentification des médicaments, et la Commission européenne, le Network Data Board de lʼUnion européenne et le Groupe dʼétude sur les IDMP de lʼUE et lʼISO ont approuvé une mise en œuvre échelonnée à compter de juillet 2016. Le Règlement dʼexécution n° 520/2012 de la Commission européenne fait obligation aux États membres de lʼUnion européenne, aux organismes délivrant les autorisations de mise sur le marché et à lʼAgence européenne des médicaments dʼutiliser, à compter de cette date, la terminologie prévue par les normes ISO sur lʼidentification des médicaments. Les laboratoires pharmaceutiques devront désormais transmettre à lʼAEM les informations concernant les médicaments au format et selon la terminologie prévus par ces normes.

« Lʼobligation européenne qui doit bientôt entrer en vigueur nous a poussés à finaliser ces normes rapidement », indique Michael Glickman, PDG de la société Computer Network Architects et Président du comité technique ISO/TC 215 sur lʼinformatique de santé. « Par ailleurs, poursuit-il, nous avons conçu un premier Guide de mise en œuvre régional pour accompagner les normes centrales de lʼISO sur lʼidentification des médicaments afin de répondre aux exigences propres à lʼUnion européenne sans nous écarter des besoins essentiels. »

Si lʼEurope aura été la première à émettre une réglementation et à se doter dʼun répertoire central des médicaments en sʼappuyant sur les normes ISO, aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) étudie les moyens de revoir les normes en vigueur pour les aligner sur la définition des médicaments prévue par les normes ISO. Enfin, le Japon a, lui aussi, laissé entendre quʼil comptait adopter ces normes.

Workers in protective uniform at laboratory

La sécurité, une question primordiale

« Les nouveaux traitements et médicaments sont un bienfait immense pour les patients, mais il est primordial de sʼassurer quʼils sont sans danger, en particulier pour les organismes mondiaux de réglementation qui ont vocation à protéger la santé publique. Lʼadoption des normes sur lʼidentification des médicaments par lʼAEM pour lʼenregistrement des médicaments permettra, dʼune part, dʼavoir une information plus transparente sur les médicaments et, dʼautre part, de répertorier plus facilement les effets indésirables de ces produits tout au long de leur cycle de vie (de leur élaboration à leur mise sur le marché). Le but ? Améliorer la sécurité des patients grâce à lʼharmonisation des informations à lʼéchelon mondial, au moyen des normes ISO sur lʼidentification des médicaments », indique Bron Kisler, co-fondateur et Vice-Président du Clinical Data Interchange Standards Consortium (Consortium sur les normes relatives à lʼéchange de données cliniques).

Aux États-Unis, 80 % des principes actifs des produits pharmaceutiques et 40 % des médicaments finis sont importés, dʼoù lʼimportance, pour Vada Perkins, qui travaille à la FDA et encadre le projet sur les normes ISO, dʼharmoniser lʼidentification à lʼéchelle mondiale dans une optique de pharmacovigilance, de conformité et dʼéchange dʼinformations sur leur qualité, leur pureté, leur dosage, ainsi que sur leur efficacité et leur innocuité dans le monde entier. « Les normes ISO sur lʼidentification des médicaments constituent une base solide pour échanger des informations pharmaceutiques à lʼappui des travaux cliniques et de réglementation, notamment pour lʼadaptation de la réglementation. »

M. Perkins observe quʼoutre leur vocation réglementaire, les normes sur lʼidentification des médicaments profitent à ce secteur très encadré. « La gestion et la gouvernance des données de référence sont importantes pour le secteur pour toute une série de raisons (recherche-développement, travail analytique, autorisations de mise sur le marché, etc.). Or, les normes sur lʼidentification des médicaments y contribuent directement. Elles sont donc très intéressantes pour lʼindustrie pharmaceutique, indépendamment de lʼaspect réglementaire. »

Un événement mondial

Nurse demonstrating disposal of medications and syringes

Lisa Spellman, Directrice du service des normes mondiales à lʼAssociation américaine de gestion de lʼinformation sanitaire (AHIMA) et Secrétaire du comité technique ISO/TC 215, pense que lʼarrivée des normes sur lʼidentification des médicaments est un événement qui va changer le monde. « On pourrait penser quʼil existait déjà des normes sur lʼidentification des médicaments, mais ce nʼest pas le cas. Désormais, grâce à lʼISO, la documentation relative aux médicaments répondra à une structure et à des règles claires et elle pourra ainsi être utilisée dans le monde entier, dʼun bout à lʼautre de la chaîne logistique. »

« Les normes sur lʼidentification des médicaments sont déjà en train de changer le monde car leur adoption et leur mise en œuvre croissantes vont permettre dʼéviter les décès et les pathologies dus à des interactions médicamenteuses ou à des réactions allergiques, et dʼaméliorer considérablement la pharmacovigilance, autrement dit, la recherche des effets des médicaments. Même à lʼère de la haute technologie, il nʼest pas simple de répertorier les réactions indésirables à lʼensemble de la pharmacopée, mais nous disposons enfin de normes sur lʼidentification des médicaments, qui nous aideront progressivement à y parvenir. »

Christian Hay, Consultant de haut niveau sur les soins de santé au Bureau mondial de lʼorganisation GS1 et Animateur du groupe de travail WG 6 du comité technique ISO/TC 215, le groupe de travail de lʼISO sur lʼidentification des médicaments qui traite de la pharmacie et des produits médicaux, voit dans ces normes un progrès majeur pour la sécurité des patients dans le monde, ainsi quʼun élément indispensable pour répertorier les réactions indésirables et garder une trace clinique des médicaments administrés. « Les différentes parties prenantes se sont associées pour établir un système mondial de référencement des caractéristiques des produits. Cʼest un projet passionnant – et lʼaspect normatif nʼest quʼun début ! »

La mise à jour de ce « groupe » de normes ISO sur lʼidentification des médicaments est une étape décisive dans lʼinstauration dʼun système plus sûr dʼidentification des médicaments. « Notre grande priorité est de venir à bout de la révision des normes ISO sur lʼidentification des médicaments et de parachever les spécifications et le rapport techniques (ISO/TR 14872) correspondants. Nous devrions avoir terminé fin 2016 ou début 2017 », confirme Vada Perkins.

Pourquoi lʼISO ?

Dʼaucuns pourraient sʼinterroger sur le choix de lʼISO pour élaborer ces normes par rapport aux instances normatives/réglementaires mises en place par les secteurs médicaux et pharmaceutiques, dʼautant plus quʼelles trouvent leur origine dans un forum animé par le Conseil international sur lʼharmonisation des exigences techniques applicables aux produits pharmaceutiques à usage humain (ICH) .

Les normes ISO sur lʼidentification des médicaments sont de plus en plus prisées.

Comme lʼexplique Vada Perkins, à lʼorigine, le Conseil international sur lʼharmonisation des exigences techniques avait formé un groupe de travail dʼexperts (le M5) pour définir les exigences auxquelles devaient répondre les identifiants de produits médicaux et la terminologie correspondante. Il sʼagissait dʼabord, dans le cadre dʼun travail de pharmacovigilance post-commercialisation, dʼharmoniser les informations relatives aux produits afin de faciliter lʼéchange électronique de rapports de sécurité de cas individuels (ICSR) dans les régions et entre les régions, grâce au formulaire ICH E2B. Cʼest ce qui a amené le Conseil à décider de sʼassocier avec lʼISO et le HL7 (une organisation à but non lucratif qui produit des normes applicables à lʼéchange dʼinformations médicales par voie électronique) pour mettre au point des spécifications techniques de façon à favoriser lʼinteropérabilité entre les organismes de réglementation et le corps médical.

Lisa Spellman précise que la responsabilité dʼédicter des normes sur lʼidentification des médicaments a été confiée à lʼISO « parce que lʼISO est le premier producteur de Normes internationales fondées sur le consensus et que, des organisations de normalisation, elle est celle qui a le plus grand rayonnement international. La liste des parties prenantes est longue. On y trouve notamment toute une gamme dʼacteurs du secteur pharmaceutique et de lʼélaboration des politiques qui souhaitent que ces normes sʼadressent à un public aussi large que possible à travers le monde ». Et, ajoute-t-elle, « cʼest aussi parce quʼune norme qui porte le sceau de lʼISO a du poids et quʼelle inspire confiance ».

Les obstacles à surmonter

Tablets of pills

Cependant, lʼélaboration dʼun ensemble de normes concrètes, cohérentes et probantes était une mission difficile pour lʼISO. Dʼaprès Christian Hay, lʼidentification des médicaments est un domaine extrêmement complexe que très peu dʼexperts maîtrisent pleinement, mais il ajoute : « Je crois néanmoins que lʼélaboration de ces normes va contribuer à élargir cette expertise ». M. Hay précise en outre : « Il y a une autre difficulté indéniable qui tient à la pression politique. Il faut en effet que ces normes soient produites et mises en œuvre au plus vite. Néanmoins, malgré lʼampleur de la tâche et sa technicité, notre équipe dʼexperts ne perd pas de vue quʼil y a des patients – et que cʼest avant tout le souci de leur santé, de leur sécurité et de ce quʼils endurent que nous devons avoir en tête. »

Le Groupe de travail WG 6 sʼest en outre efforcé de tenir compte des pratiques régionales. « Les cinq normes ISO sur lʼidentification des médicaments sont uniques en ce sens quʼelles sont assorties de quatre spécifications et dʼun rapport techniques. Chaque région a ses propres systèmes dʼidentification des médicaments, impliquant parfois des critères différents. Il nʼest donc pas toujours évident de sʼentendre sur les éléments définitoires à privilégier pour que chaque médicament ait une identification unique sans remettre en cause les pratiques en vigueur dans telle ou telle région », explique Vada Perkins. Heureusement, les normes établissent des exigences très concrètes et très précises (qui vont jusquʼaux substances et au processus de fabrication) pour que chaque médicament ait une identification et une seule, mais elles restent suffisamment souples pour que les organismes de réglementation des produits de santé et les autres intervenants puissent faire leur travail sans déroger aux obligations régionales.

Pour le Dr. Jean-François Forget, Directeur médical chez Vidal France, qui propose un système dʼinformation numérique sur les médicaments, la difficulté dans la mise en œuvre des normes sur lʼidentification des médicaments sera non seulement de préserver la base de données de lʼAEM sur la pharmacovigilance (Article 57), mais aussi de composer avec lʼinteropérabilité requise entre les prescriptions informatisées des premier et deuxième niveaux de soins. « Si nous arrivons à surmonter ces deux difficultés, nous aurons alors un répertoire de référence unique pour décrire tous les médicaments disponibles sur le marché européen, qui pourra être utilisé et par les responsables de la santé publique, et par les prestataires de soins. Cela ne peut quʼêtre bénéfique pour le système sanitaire mondial, pour la pharmacovigilance, ainsi que pour la sécurité et la qualité des prescriptions et des médicaments administrés, et ne peut donc que contribuer à lʼédification dʼun monde meilleur. »

Et après ?

Pharmacist giving medication to a mother with her daughter

Une fois que tous les partenaires internationaux auront mis en œuvre les normes ISO sur lʼidentification des médicaments, il faudra les revoir pour y intégrer la notification des réactions indésirables. Pour Christian Hay, qui sʼintéresse à lʼavenir de lʼidentification des médicaments, il sʼagira aussi, alors, de se pencher sérieusement sur son utilisation dans le cadre clinique.

Pour lʼinstant, ces normes ne concernent que les médicaments destinés à lʼhomme, mais, à lʼISO, les promoteurs de lʼidentification des médicaments envisagent dʼétendre leur application aux produits vétérinaires et aux aliments. Comme le dit Vada Perkins, « lʼapplication des normes ISO à tous les produits réglementés sur un territoire donné, cʼest cela que nous devons viser. Dans la mesure où il y a des constantes dans les différents domaines soumis à réglementation, on pourrait en effet étendre lʼidentification des produits médicaux à dʼautres produits. On pourrait envisager de passer de lʼIDMP à lʼIDP (identification des produits) dans un avenir relativement proche. »


1) Anesthesiology est la revue médicale de lʼAmerican Society of Anesthesiology.

2) Reporting and learning systems for medication errors: the role of pharmacovigilance centres, publié par lʼOMS (en anglais seulement), dans le cadre du projet sur le contrôle des médicaments financé par la Direction de la recherche de la Commission européenne dans le cadre de son septième programme-cadre.


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Elizabeth Gasiorowski-Denis

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