Le changement climatique, la cybercriminalité et les perturbations de l’activité économique – des phénomènes qui peuvent à première vue sembler sans rapport –constituent tous de graves menaces pour la viabilité à long terme des entreprises. Celles-ci disposent cependant d’un outil commun pour renforcer leur résilience : l’innovation. Mais comment des organisations peuvent-elles être suffisamment innovantes pour surmonter les difficultés d’un monde de plus en plus incertain ?
L’innovation un jeu aux règles plurielles
Knut Blind, Professeur en économie de l’innovation, nous éclaire sur le rôle crucial des normes pour survivre dans l’économie globalisée et complexe du 21e siècle.
Au premier abord, innovation et normalisation semblent être des notions contradictoires. Pourtant, nombre d’experts ont remarqué au fil des ans des convergences entre ces deux domaines, voire des points de rencontre. ISOfocus a souhaité s’entretenir avec Knut Blind, professeur et chercheur éminent, pour mieux comprendre comment s’articulent l’innovation et la normalisation. Une réflexion riche d’enseignements précieux, aussi bien pour les universitaires que pour les stratégistes industriels, les décideurs politiques que les professionnels de la normalisation. Celui-ci avance, en effet, que normes et processus de normalisation peuvent favoriser l’innovation. Voici les points forts de cet entretien.
Knut Blind
Knut Blind est Professeur en Économie de l’innovation à l’Université technique de Berlin. Il est également Coordinateur de la division Réglementation et innovation au sein du Fraunhofer ISI, un institut dont les travaux de recherche explorent les fondements qui permettent d’instaurer des cadres réglementaires propices à l’innovation, et ce principalement au sein d’instances gouvernementales.
Force est de constater que l’innovation se joue sur la scène internationale. Quelles sont les conséquences d’un tel constat ? Une entreprise peut-elle innover à elle seule ?
L’innovation répond à de multiples définitions. Toutefois, les économistes aiment à citer la définition qu’en a récemment donnée l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Dans son Manuel d’Oslo 2018, l’OCDE définit une innovation comme « un produit ou un processus (ou une combinaison des deux) nouveau ou amélioré qui diffère sensiblement des produits ou processus précédents d’une unité et a été mis à la disposition d’utilisateurs potentiels (produit) ou mis en œuvre par l’unité (processus) ».
De nos jours, l’innovation est un impératif de survie face à des marchés concurrentiels ; les entreprises peuvent donc, pour la plupart, être considérées comme innovantes. De manière générale, les entreprises qui investissent systématiquement une partie de leurs revenus dans les activités de recherche et de développement (R&D) seront plus aptes à rester innovantes au fil du temps.
Comment une entreprise qui prospère, quels que soient sa taille et son secteur, peut-elle rester à la pointe de l’innovation ?
Outre les activités de R&D, une collaboration étroite avec des organismes de recherche et d’autres acteurs hautement qualifiés, comme les fournisseurs et les clients, couplée à une culture d’innovation dynamique, seront autant de facteurs déterminants. Cela dit, pour prendre les bonnes décisions, le dilemme de l’innovateur doit être sans cesse au cœur des réflexions de l’entreprise : répondre aux besoins actuels des clients ou innover pour répondre à leurs besoins futurs. Le danger étant, pour les chefs de file et parties prenantes en place, de manquer la prochaine vague d’innovations de leur secteur.
Penchons-nous à présent sur la question de la normalisation. Les entreprises cherchent de plus en plus à combler leur retard en matière d’innovation. Quels sont les principaux avantages que les normes peuvent leur offrir ? Comment les normes et le processus de normalisation peuvent-ils les aider à innover ?
L’important n’est pas seulement le produit fini, la norme, mais le processus de normalisation lui-même, qui est déjà en soi une source d’innovation. En effet, les entreprises qui y participent assimilent le savoir technologique des établissements de recherche avec qui elles collaborent. Elles engrangent ainsi des connaissances sur les préférences de leurs fournisseurs et clients, mais aussi sur les exigences des institutions publiques et d’autres acteurs.
En ce sens, les normes de mesure et d’essai sous-tendent les activités de développement ; les normes de qualité favorisent l’acceptation de nouveaux produits et procédés sur le marché ; et les normes d’interopérabilité facilitent, quant à elles, l’exploitation d’effets de réseau, notamment dans le secteur des technologies de l’information.
Autre facteur contribuant à la réussite d’une innovation : la large diffusion du produit sur le marché. Les normes influent tout autant sur la vitesse que sur l’ampleur de diffusion de nouvelles technologies, mais aussi des produits et procédés qui les intègrent. Enfin, les normes peuvent servir de socle à de nouveaux modèles d’affaires fondés sur une alliance de normes ouvertes et de technologies ou services propriétaires.
Les normes sont souvent perçues comme un cadre rigide qui étouffe l’innovation. Comment faire évoluer cette vision réductrice ?
Il est important de présenter les normes comme des documents dynamiques qui reflètent les avancées constantes de la science et de la technologie. En particulier, des contrôles fréquents doivent être mis en œuvre pour adapter le corpus de normes existant. Cela peut se traduire, dans le domaine des sciences ou de la technologie, par le retrait de normes qui ne reflètent plus l’état de la technique. Si tel est déjà le cas dans une certaine mesure, l’actualisation du corpus de normes pourrait gagner en souplesse pour répondre au dynamisme croissant de l’environnement. Ainsi, dans le cas de nouvelles technologies émergentes, on peut envisager de laisser en place des normes concurrentes pendant quelque temps, jusqu’à ce que la meilleure s’impose d’elle-même.
Les entreprises peuvent, pour la plupart, être considérées comme innovantes.
Comment élaborer des normes au long cours en veillant à ce qu’elles continuent de favoriser l’innovation ? Et quel rôle peut jouer l’ISO, en particulier ?
Tout d’abord, les processus de normalisation devraient être capables de détecter, dès leurs prémisses, les nouvelles tendances en science et technologie, mais aussi sur les marchés et dans la société. Disons que la normalisation devrait orienter le développement de ces nouvelles technologies et leurs marchés, comme pour l’intelligence artificielle, et non prendre le train en marche lorsque les acteurs concernés ont déjà adopté des décisions majeures.
Par ailleurs, les normes doivent s’appuyer sur les toutes dernières connaissances qui fédèrent le plus dans les milieux scientifiques et technologiques, et donc prendre en compte des données factuelles. Mais il leur faut également se montrer « ouvertes ».
Les acteurs dominants, qui jouissent d’une très forte position sur le marché ou de gros portefeuilles de brevets, ne doivent pas être en mesure de détourner les normes en vue d’exclure leurs concurrents du marché. De ce fait, les processus de normalisation doivent être ouverts aux idées nouvelles des parties prenantes innovantes et, en cela, même les suggestions des startups sont les bienvenues !
Génération d'innovation
Tous les secteurs doivent continuellement innover, que ce soit sur le plan des technologies ou de la distribution. Mais comment y parvenir ? N’attendez plus pour vous plonger dans ce numéro d’ISOfocus pour en savoir plus.