Le réveil sonne et, alors que nous sortons du lit, la routine quotidienne démarre. Aller aux toilettes, prendre une douche ou se faire couler un bain, remplir la bouilloire pour l’indispensable première tasse de thé ou de café matinale, peut-être lancer le lave-linge et vider le lave-vaisselle qui a tourné pendant la nuit.
En règle générale, nous faisons tout cela sans y penser jusqu’à ce qu’un tuyau bouché ou une pièce défectueuse nous oblige à aller chercher la ventouse ou à appeler le plombier. Nous n’allons certainement pas nous préoccuper – et encore moins au réveil – de ce qu’il advient des eaux qui partent dans les canalisations ou qui sortent des appareils électroménagers de nos cuisines. Lorsque nous ouvrons le robinet pour remplir la bouilloire, nous considérons comme acquis – sauf si l’eau est d’une couleur bizarre ou sent mauvais – que sa qualité est bonne et qu’elle peut être bue en toute sécurité.
Mais qu’en est-il de ces eaux usées et autres « déchets », comme les matières grasses que nous avons déversées dans l’évier après le dîner de la veille ? L’été dernier, les médias ont fait état de l’obstruction massive d’un égout londonien par un important amas de graisses, baptisé le « fatberg ». Le quotidien The Guardian a indiqué qu’il avait la taille de 11 bus à impériale et s’étendait sur une longueur correspondant à deux terrains de football. En plus des graisses et matières grasses, il contenait des couches et des lingettes pour bébé qui avaient été jetées dans les toilettes. Il s’agissait effectivement d’un amas monstrueux, mais il faut savoir que l’on trouve des fatbergs similaires, bien que plus petits, dans tous les systèmes d’évacuation des eaux usées du monde.
Des systèmes soumis à rude épreuve
Le fatberg n’est qu’un exemple des nombreuses histoires d’horreurs qui émergent à l’heure actuelle et qui indiquent que nos systèmes d’eaux usées sont mis à rude épreuve, non seulement à cause des comportements humains mais aussi en raison de la pollution, de phénomènes météorologiques extrêmes (comme les inondations), de pratiques d’agriculture intensive, du vieillissement des égouts et des exigences d’une population croissante à travers le monde. Et, bien évidemment, les plastiques, entre autres matières qui ne se désagrègent pas et ne sont pas biodégradables utilisées dans des produits sanitaires et autres, sont souvent jetés dans les toilettes après usage, ces produits étant souvent employés dans les salles de bains.
Les faits et chiffres relatifs à la pollution des plastiques sont frappants. Selon un rapport intitulé Towards the Circular Economy : Accelerating the scale-up across global supply chains publié aux États-Unis par le Forum économique mondial (en collaboration avec l’Ellen MacArthur Foundation et McKinsey & Company), « le poids des déchets plastiques envoyés dans les décharges a triplé. De 3,4 millions de tonnes en 1980, il est passé à 11,3 millions de tonnes en 2008, alors que le total des déchets avait reculé de 16 % durant la même période. Comparativement à l’adaptation des systèmes de recyclage, la prolifération des plastiques et leurs applications a plus rapidement gagné du terrain ».
Il n’est donc pas surprenant que l’objectif 6 (ODD 6) des Objectifs de développement durable des Nations Unies, feuille de route de l’ONU destinée à créer un meilleur avenir pour le monde à l’horizon 2030, soit : « Garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement ». Les lignes directrices et les normes sur les meilleures pratiques, la qualité et la sécurité dans ce domaine n’ont jamais été plus importantes et la série de normes ISO 24516 joue un rôle essentiel pour aider face à ces enjeux. ISO 24516 se compose de quatre parties dont deux déjà publiées sur les réseaux de distribution d’eau potable et les réseaux d’assainissement, et deux en cours d’élaboration sur les centres de distribution des eaux et les stations d’épuration des eaux usées.
Une bonne gouvernance est nécessaire
Bruno Tisserand, Président de l’ISO/TC 224, comité technique en charge des systèmes d’alimentation en eau potable et des systèmes d’assainissement, salue le fait que l’ODD 6 place le problème au premier plan. « Les innovations sont essentielles, mais l’efficacité des opérations est cruciale et elle implique une bonne gouvernance. Je suis convaincu que l’ISO a un rôle à jouer pour promouvoir les bonnes pratiques en matière de gouvernance des services de l’eau » indique-t-il.
Il explique que les trois premières normes publiées en 2007 traitaient des principes généraux et des bonnes pratiques applicables aux activités relatives aux services de l’eau potable et de l’assainissement. « Elles ont été élaborées pour tout type de situation, qu’il s’agisse d’un service existant très performant ou d’une zone privée de tout service. » Les dernières normes publiées aideront à « établir une stratégie de gestion d’actifs ainsi que les outils et le processus décisionnel nécessaires pour que les infrastructures demeurent efficientes sur le long terme au coût le plus abordable. »
En qualité de Directeur de programme de recherche pour les villes chez Veolia, multinationale qui conçoit et fournit des solutions de gestion de l’eau, des déchets et de l’énergie, M. Tisserand connaît bien les pressions liées à l’urbanisation croissante qui pèsent sur les systèmes d’assainissement. Selon lui, les grandes villes sont plus sensibles aux deux principaux effets du changement climatique – le manque d’eau (rareté de l’eau et sécheresse) et l’excès d’eau (inondations). Pendant la saison des ouragans de 2017 aux États-Unis, les centres de traitement des eaux usées de Floride et du Texas ont par exemple été submergés. Après le passage de l’ouragan Irma, Bloomberg a indiqué que 500 000 gallons (près de deux millions de litres) d’eaux usées avaient inondé St Petersburg et Orlando, et que six millions de gallons supplémentaires (près de 23 millions de litres) s’étaient déversés en direction de la côte de Key Biscayne.
M. Tisserand souligne qu’un nombre croissant de personnes vivent près de la mer, souvent dans des régions où l’eau douce est rare. « Cette situation constitue déjà un défi supplémentaire dans un grand nombre de pays où la montée du niveau de la mer devient un problème majeur » indique-t-il. « L’entrée de l’eau salée dans les canalisations des égouts complique le traitement des eaux usées. »
Veolia adopte une approche d’innovation ouverte pour trouver des solutions à de tels problèmes en soutenant, par exemple, des start-ups dans des zones où l’approvisionnement en eau est limité. Au Mexique, une start-up de ce type travaille sur une solution technologique pour récupérer les eaux usées, au profit de la municipalité locale et de Veolia.
Trouver une solution
Bien que des avancées aient été enregistrées dans beaucoup de domaines, en particulier au niveau des progrès technologiques, nombreux sont les services de l’eau qui ont du mal à s’adapter aux pressions du monde moderne. Duncan Ellison, ancien Directeur exécutif de l’Association canadienne des eaux potables et usées, et membre actif de l’ISO/TC 224, indique deux solutions : « Convaincre les fabricants de mettre en avant seulement les produits dont les propriétés physiques et chimiques sont similaires à celles du papier toilette en termes de désintégration physique et de biodégradation dans les systèmes d’assainissement et d’évacuation des eaux usées, et convaincre les consommateurs (indépendamment de ce que dit l’étiquette d’un produit) que les seules choses que l’on peut mettre dans les toilettes sont l’urine, les matières fécales et le papier toilette. »
Selon lui, les contrôles effectués par des services publics des eaux usées ont permis de découvrir que de nombreux produits vendus comme jetables dans les toilettes ne se désagrègent pas dans les environnements hydrauliques et mécaniques des systèmes d’évacuation des eaux usées et ne se biodégradent pas dans les stations de traitement des eaux usées. « Ainsi, ils ont tendance à s’accumuler dans les systèmes d’évacuation ou sont véhiculés à travers les systèmes de traitement pour être rejetés dans les collecteurs où sont déversées les eaux usées traitées » conclut-il.
Mais les nouvelles ne sont pas toutes mauvaises ! M. Ellison souligne que le groupe de travail WG 12 de l’ISO/TC 224 cherche désormais à définir les conditions hydrauliques, mécaniques et environnementales susceptibles d’orienter les fabricants dans la conception de produits qui ne contribueraient pas au colmatage des filtres et au blocage des pompes, ou au déversement de fibres non-biodégradables dans le milieu aquatique. S’il y parvient, « cela aidera à éliminer à l’avenir les produits indiqués à tort comme jetables dans les toilettes ». Il ajoute que, de façon plus générale, « toutes les normes de l’ISO/TC 224 s’attaquent aux problèmes des services de l’eau et des eaux usées afin d’améliorer leur gestion et leur efficacité ».
L’Afrique est une région qui a dû gérer les problèmes engendrés par une démographie galopante et une urbanisation rapide, ainsi que leur impact sur les systèmes d’assainissement. Sylvain Usher, Directeur exécutif de l’Association africaine de l’eau, autre membre actif de l’ISO/TC 224, indique qu’il est difficile d’adapter de nouvelles technologies innovantes en matière de traitement des eaux usées pour qu’elles s’appliquent au contexte africain et de faire participer de nouveaux entrepreneurs privés à la gestion des systèmes d’assainissement sur site.
Un travail de sensibilisation
Selon lui, l’un des autres défis est « de sensibiliser les financiers pour qu’ils comprennent que les eaux usées et les boues fécales peuvent aussi représenter une ressource financière ». Le Rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau publié par les Nations Unies en mars 2017 se fait l’écho de ce dernier point. Il indique que les eaux usées des logements, de l’industrie et de l’agriculture devraient être considérées comme une précieuse ressource susceptible d’aider à répondre aux besoins d’une population mondiale toujours plus nombreuse. Richard O’Connor, Rédacteur en chef du rapport, fait valoir que les eaux usées contiennent des nutriments, comme le phosphore et les nitrates, qui peuvent être transformés en engrais. En outre, les boues traitées pourraient être transformées en biogaz et servir de combustible pour alimenter les usines de traitement des eaux usées.
Cependant, la difficulté la plus importante de toutes est peut-être de lever ce que M. Usher appelle « les obstacles psychologiques » au recyclage des eaux usées et à leur réutilisation en Afrique. Entre-temps, déclare-t-il, « il nous faut développer de façon plus large et approfondie l’ingénierie en matière d’assainissement sur site, et les normes ISO sont utiles à cet égard », en particulier pour fournir des orientations aux autorités locales.
M. Tisserand, qui est également Président d’EurEau, organisation représentative des opérateurs européens des services de l’eau potable et des eaux usées, résume la situation : « Nous savons tous qu’il nous faut trouver une solution pour fournir en même temps des services de l’eau et des eaux usées si nous ne voulons pas être confrontés à d’importantes maladies épidémiques comme celles qui sévissaient il y a deux siècles en Europe. » Il se montre néanmoins optimiste à l’égard de l’avenir : « Nous avons aidé à décrire ce qu’il faut faire et comment le faire. Il ne nous reste maintenant qu’à agir ! »