Autrefois, les villes se développaient de façon organique en fonction des nécessités. Les gens avaient besoin d’endroits pour dormir, manger et pratiquer leur culte, et des infrastructures ont été créées pour répondre aux besoins immédiats en eau, égouts, transports, gaz et électricité au moyen de vastes réseaux improvisés. Puis, peu à peu, les choses ont changé et les villes ont commencé à s’édifier « à dessein ». De nos jours, les matériaux high-tech, les réseaux de capteurs et les données de qualité se conjuguent pour permettre aux urbanistes et aux architectes de bâtir des villes à la fois belles, écologiques et plus agréables à vivre. Et cela ne peut qu’être une bonne chose puisque plus de la moitié de la population du globe vit aujourd’hui dans des zones urbaines.
Les services qui occupent une place prépondérante dans les villes durables de demain – nouveaux modèles économiques et de gouvernance, services améliorés de santé et de sécurité publiques, systèmes avancés de gestion de l’eau et de transport – s’appuient sur les nouvelles capacités de mise en réseau qui apparaissent dans le monde entier. Celles-ci sont à leur tour soutenues par les normes fondamentales élaborées par le comité technique ISO/TC 268, Villes et communautés territoriales durables, grâce à une collaboration mondiale qui dépasse les frontières géographiques, industrielles et technologiques.
Avec plus de 20 normes publiées à ce jour et beaucoup d’autres en préparation, la famille de normes ISO pour les villes s’agrandit afin d’anticiper les besoins actuels et futurs des zones urbaines du monde entier. Bernard Gindroz, Président de l’ISO/TC 268, est le grand spécialiste des villes durables de demain. Il fait part ici de ses espoirs concernant un avenir urbain plus intelligent.
ISOfocus : Comment avez-vous fini par travailler avec l’ISO ?
Bernard Gindroz : Après avoir obtenu mon diplôme en génie mécanique, j’ai entrepris de passer un doctorat dans le domaine de l’énergie. Cela a éveillé mon intérêt pour l’énergie durable et la protection de l’environnement. Mon évolution vers l’élaboration de mesures et de lignes directrices normalisées susceptibles d’être appliquées par d’autres organisations et par des villes s’est donc révélée parfaitement logique.
Je travaillais alors avec l’AFNOR, le membre de l’ISO pour la France, qui compte dans ses rangs près de 2 500 entreprises. Son rôle consiste à diriger et à coordonner le processus d’élaboration des normes en France et en Europe, tout en soutenant le recours aux normes. Il y a quatre ans environ, l’AFNOR m’a proposé la présidence du comité technique ISO/TC 268 sur les villes et communautés territoriales durables.
J’ai été particulièrement sensible à l’approche globale adoptée par l’ISO pour l’élaboration et la mise en œuvre des Normes internationales relatives à la durabilité. En définissant des processus par étapes, les normes ISO permettent aux villes de disposer d’un système approprié et cohérent pour procéder à des évaluations de la durabilité urbaine et faciliter la planification future. L’ISO considère que les villes sont les lieux où se concentrent la plus grande partie des ressources mondiales et qu’il importe donc de s’en occuper de manière plus efficace. L’un de nos principaux objectifs est de concilier les nouvelles technologies avec les besoins divers des villes du monde entier afin d’assurer le bien-être de leurs habitants à présent et à l’avenir.
Si un maire ou un responsable municipal bien occupé se montre disposé à utiliser des normes ISO dans sa ville, par où doit-il commencer ?
Les défis auxquels font face les villes du monde entier sont extrêmement complexes et souvent très spécifiques. Chaque ville étant unique, nous devons tenir compte du contexte local et culturel qui leur est propre pour qu’elles conservent leur caractère. Cela étant, les réactions portées à notre connaissance allaient dans le même sens : toutes les villes veulent disposer d’un cadre global qu’elles puissent utiliser. Ce résultat a été obtenu par un consensus international sur ce qu’on entend par meilleures pratiques et sur la manière de l’appliquer.
Ce cadre doit également concorder avec les Objectifs de développement durable des Nations Unies, destinés à créer un monde plus intelligent et plus prospère pour tous. Il importe donc que les normes prennent intégralement en compte des questions telles que la gestion de l’énergie et de l’eau, la sécurité routière, les transports, la cybersécurité, la santé et la gouvernance, les changements climatiques et le bien-être des habitants, y compris les personnes âgées.
Pour amorcer le processus, je recommande de lire attentivement ISO 37101, Développement durable au sein des communautés territoriales – Système de management pour le développement durable – Exigences et lignes directrices pour son utilisation, qui constitue la base de référence pour des villes durables. Cette norme propose un système de management de la qualité qui définit clairement les exigences de base permettant aux villes de déterminer leurs besoins et leurs stratégies en matière de développement durable. Elle est complétée par d’autres normes de la famille ISO 37100, qui fournissent des informations, des structures et des mesures plus spécifiques. Ensemble, ces normes procurent une panoplie de pratiques intelligentes permettant de gérer les services, les données et les systèmes de gouvernance dans toute la ville selon des méthodes fondées sur la collaboration et l’utilisation des technologies numériques.
Les mots « intelligent et « durable » sont d’usage courant. Quel sens différent prennent-ils lorsqu’on les associe aux villes ?
Ces mots à la mode peuvent parfois prêter à confusion. D’une manière générale, les villes intelligentes s’appuient sur des informations utiles et pertinentes qui les aident à gérer efficacement leurs ressources et à planifier leur développement. De leur côté, les villes durables disposent de plans et de programmes qui sont à même de prendre en compte leurs impacts sociaux, économiques et environnementaux. Les villes doivent évaluer leur résilience vis-à-vis d’une population en croissance sans influer négativement sur les besoins futurs de leurs habitants. Dans les deux définitions, le bien-être humain reste l’élément central de toutes ces considérations.
Les normes de l’ISO/TC 268 apporteront une contribution déterminante à la réalisation des 17 Objectifs de développement durable des Nations Unies, dont l’un est plus spécialement consacré aux villes. Les normes d’application volontaire sont des outils puissants qui permettent de s’assurer que les villes continuent de créer des emplois et d’apporter la prospérité sans exercer de pression excessive sur les sols et les ressources.
Vous êtes connu pour insister sur l’importance des statistiques...
En effet, toutes les villes ont besoin d’harmonisation et d’investissement, mais doivent pour ce faire en apprendre davantage sur le développement durable grâce à des études de cas et à l’évaluation comparative des meilleures pratiques. En s’appuyant sur un processus de communication et de remontée d’information efficace, les villes peuvent mesurer, surveiller et évaluer les progrès accomplis dans la réalisation de leurs principaux objectifs.
L’ISO considère que les villes sont les lieux où se concentrent la plus grande partie des ressources mondiales.
Nous convenons tous qu’il importe de disposer des mêmes termes et définitions, ainsi que d’indicateurs clés de performance (KPI) qui soient déterminés et compris par toutes les villes. Les statistiques doivent être normalisées à peu près de la même manière. Les gens, et en particulier les citadins, font confiance aux normes et, par conséquent, aux statistiques issues de mesures normalisées. On peut obtenir des statistiques et déterminer les moyens de mesurer la performance par consensus, par des exemples de meilleures pratiques et par la combinaison des dernières technologies disponibles.
Les villes peuvent alors utiliser les mesures effectuées et les statistiques établies pour comparer leur performance avec celle d’autres villes et déceler les possibilités d’amélioration. Elles peuvent aussi s’en servir pour effectuer des études de cas concluantes, déterminer les meilleures pratiques et définir des indicateurs communs, qui permettront de fixer des objectifs de performance et de mesurer les progrès accomplis dans leur réalisation. Il s’agit d’avoir une compréhension commune et des indicateurs communs, qui aboutissent à une valeur commune.
N’oublions pas non plus qu’une démarche d’amélioration continue est toujours nécessaire. Les situations changent, et les villes doivent les anticiper et y répondre. Nos normes ISO s’appuient sur le management de la qualité tout au long du processus. Celui-ci se déroule comme suit : préciser la vision ; prendre les décisions ; planifier les programmes ; exécuter les programmes ; contrôler les résultats. Vous pouvez alors vous poser la question : « Avons-nous obtenu les résultats escomptés ? »
Quels sont les principaux défis auxquels vous avez été confrontés ?
Il y a tellement de pays qui participent aux travaux de normalisation ! Au début, il peut sembler quelque peu difficile de déterminer ce qu’une ville d’Afrique, par exemple, peut avoir en commun avec une ville d’Europe. Notre défi consiste à prendre en compte ces différences afin de pouvoir définir les principaux points de friction et de nous employer ensemble à y remédier.
Nos normes doivent en effet pouvoir s’appliquer à toutes les villes du monde. Malgré les difficultés, nous pouvons compter sur une collaboration de grande qualité, et des villes font déjà état de résultats très positifs. En France, les normes élaborées par l’ISO/TC 268 constituent désormais le fondement des normes requises pour les projets publics et gouvernementaux de développement durable ; ces normes sont en outre reconnues dans toute l’Union européenne grâce à un ensemble d’orientations concernant spécifiquement les villes intelligentes (Smart City Guidance Package).
Quels sont les projets futurs de l’ISO/TC 268 ?
Nous recevons des informations en retour des villes qui utilisent déjà nos normes. Leur soutien nous aide à déceler les lacunes qu’il nous faut combler et à réviser et améliorer nos normes existantes.
Il s’agit toujours d’une vision à long terme : à quoi voulons-nous que ressemblent nos villes dans dix, vingt ou trente ans ? Cela peut sembler lointain, mais nous devons dès maintenant ouvrir la voie à la mise en œuvre de solutions durables et intelligentes. La ville de 2050 est la ville que nous planifions déjà aujourd’hui.
Après avoir abordé les questions si complexes auxquelles sont confrontées les villes du monde entier, que faites-vous pour vous détendre ?
Bonne question ! Tout d’abord, je dois dire que j’ai beaucoup de chance de travailler avec des personnes aussi compétentes et sympathiques au sein de l’ISO/TC 268, mais lorsque j’ai besoin de me détendre, la nature, la musique et ma femme sont les meilleurs antidotes. Et là encore j’ai beaucoup de chance, puisque ma femme est sophrologue.